L'évaluation du préjudice écologique : quels enjeux et quelles méthodes ?

6
avril
2025
Le préjudice écologique vise à réparer les atteintes graves à l'environnement en tant que tel. Son évaluation peut être ardue car la loi n’impose pas de méthode de calcul. Il revient ainsi au juge de choisir une méthode d’évaluation du préjudice écologique la plus adaptée au cas d’espèce dont il est saisi. Dans cet article, nous revenons sur les bases juridiques du préjudice écologique, son évaluation et le poids de l’expertise environnementale dans la décision du juge.

Quelles sont les bases juridiques du préjudice écologique ?

Le préjudice écologique a été consacré par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et codifié aux articles 1246 à 1252 du code civil. Il trouve son fondement dans le préambule de la Constitution de 1946, qui consacre le droit à un environnement sain, et dans la Charte de l'environnement de 2005, intégrée dans le bloc de constitutionnalité, dont découle le principe de précaution.

Le concept de préjudice écologique vise à réparer « les atteintes non négligeables aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » (art. 1247 du code civil). Toute personne ayant qualité et intérêt à agir peut intenter une action en réparation du préjudice écologique, telles que les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement.

La réparation doit se faire prioritairement en nature, par la restauration du milieu endommagé. Toutefois, lorsque celle-ci est impossible, par exemple parce qu’une intervention humaine risquerait de perturber encore plus gravement l’écosystème (T.corr. Marseille, 6 mars 2020, n° 18330000441, confirmé par CA Aix en Provence, 29 juin 2021, n° 20-01931) , le juge condamne le pollueur à verser des dommages et intérêts qui seront exclusivement affectés à un programme de restauration de l'environnement impacté.

En plus de ces dommages et intérêts, le juge peut condamner le pollueur à rembourser toutes les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente du dommage, éviter son aggravation ou en réduire les conséquences.

Comment est évalué le préjudice écologique ?

Différentes méthodes d’évaluation du préjudice écologique existent, telles que l’Habitat Equivalency Analysis (HEA) et le Resource Equivalency Analysis (REA) préconisées par la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale, ou encore la méthode d’évaluation biophysique des dommages graves et la méthode d’évaluation biophysique de moindre gravité dite méthode simplifiée élaborées par le ministère de l’Ecologie dans le cadre de la loi du 8 août 2016 précitée.

Il revient au juge de choisir la méthode la plus pertinente en fonction de la gravité de l’atteinte à l’environnement, déterminée sur la base d’éléments objectifs, et du principe de la réparation intégrale. Ce principe implique que la réparation doit couvrir l’entier dommage, sans perte ni enrichissement pour la partie indemnisée.

Le jugement du tribunal correctionnel de Brest statuant sur les intérêts civils du 14 janvier 2025, faisant l'objet d'un appel en cours, est un récent exemple de l’office du juge en la matière (T.corr. Brest, 14 janvier 2025, n° 22045000092). Dans cette affaire, qui concernait une pollution des eaux par rejet de lisier provenant d’un élevage de porcs, le juge a retenu la méthode préconisée par l’expert qui suggérait d’appliquer la méthode d’évaluation biophysique des dommages graves. Pour ce faire, le juge a considéré que cette méthode permettait « de prendre en compte à la fois l’impact grave de la pollution sur les espèces représentant un enjeu majeur de conservation sur le territoire, et l’actualisation économique des pertes et des gains, indispensable à une indemnisation juste et pertinente du dommage ».

Quel est le rôle de l'expertise environnementale dans l'évaluation du préjudice écologique ?

L’expertise environnementale joue un rôle central dans l’évaluation du préjudice écologique, en fournissant des données scientifiques et techniques permettant d’objectiver l’ampleur des dommages causés à l’environnement. L’article 232 du code de procédure civile permet au juge de désigner un expert pour éclairer les débats d’un point de vue technique et de chiffrer le préjudice écologique (Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650).

Dans le cadre du préjudice écologique, les experts ont pour mission de caractériser le dommage en identifiant les espèces et habitats impactés, en mesurant la pollution des milieux naturels et en évaluant les atteintes à l’environnement résultant de la pollution. Le rapport d’expertise peut inclure des recommandations de mesures de restauration ou de calcul de la compensation financière.

Le poids du rapport d’expertise est déterminant dans la décision du juge car il constitue une base factuelle et scientifique essentielle à l’évaluation du préjudice écologique. En l’absence d’un tel rapport, les juges peuvent se retrouver en difficulté pour apprécier l’ampleur des dommages et fixer les modalités de réparation. Ainsi, la rigueur et l’indépendance des expertises environnementales sont des garanties essentielles pour assurer une réparation juste et efficace.

L'évaluation du préjudice écologique est un sujet complexe, qui repose sur des données techniques et scientifiques appréciées en fonction des spécificités du cas d’espèce. Les expertises environnementales jouent un rôle clé dans ce processus, garantissant une appréciation objective du dommage causé à l’environnement.